FRANCE TELEVISIONS / PLAYMEDIA : le Conseil d’Etat interroge la Cour de Justice Européenne

Le litige qui oppose les sociétés PLAYMEDIA et FRANCE TELEVISIONS a donné lieu à plusieurs décisions judiciaires et administratives (cf. MEDIA LAW NEWSLETTER n°4, 5, 18, 23 et 29). Le dernier arrêt en date a été rendu par le Conseil d’Etat qui a soumis plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Le Conseil d’Etat était saisi d’un recours de FRANCE TELEVISIONS contre la décision du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui l’avait mise en demeure, le 27 mai 2015, de se conformer aux dispositions de l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, en ne s’opposant pas à la reprise de ses programmes par PLAYMEDIA, en flux continu, sur son site internet.

PLAYMEDIA propose un service de diffusion gratuite et sans abonnement de chaînes de télévision accessibles sur son site internet playtv.fr. Elle revendique le statut de distributeur de services de communication audiovisuelle et invoquait à ce titre, son obligation de « must carry » pour diffuser les chaînes du service public en dépit de l’opposition de FRANCE TELEVISIONS. C’est dans ce contexte que le CSA a mis FRANCE TELEVISIONS en demeure de ne pas s’opposer à la diffusion de ses services par PLAYMEDIA.

Il était demandé au Conseil d’Etat d’annuler cette décision pour excès de pouvoir. FRANCE TELEVISIONS, faisait valoir que les conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive communautaire « service universel » 2002/22/CE, relatif aux obligations de diffuser (« must carry ») n’étaient pas remplies dès lors, en particulier, « qu’il n’est pas possible, d’affirmer que des utilisateurs du réseau internet en nombre significatif l’utilisent comme leur principal moyen pour recevoir des émissions de télévision ». La requérante invoquait également l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris ayant condamné PLAYMEDIA pour contrefaçon et concurrence déloyale, pour soutenir que l’obligation d’accepter la diffusion de ses programmes sur le site de PLAYMEDIA porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle qu’elle détient.

L’arrêt rendu le 10 mai 2017 par le Conseil d’Etat se fonde d’une part, sur les directives communautaires « cadre » et « service universel » et d’autre part, sur les dispositions de la loi du 30 septembre 1986, qui définissent les notions de « must carry », de « réseaux de communications électroniques » et de « distributeur de services ».

Le Conseil d’Etat considère ainsi que « l’issue du litige dépend de la réponse aux questions suivantes :

  1. Une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet doit-elle, de ce seul fait, être regardée comme une entreprise qui exploite un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique d’émissions de radio ou de télévision au sens du paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22/CE du 7 mars 2002
  2. En cas de réponse négative à la première question, un Etat membre peut-il, sans méconnaître la directive ou d’autres règles du droit de l’Union européenne, prévoir une obligation de diffusion de services de radio ou de télévision pesant à la fois sur des entreprises exploitant des réseaux de communications électroniques et sur des entreprises qui, sans exploiter de tels réseaux, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet

  3. En cas de réponse positive à la deuxième question, les Etats membres peuvent-ils s’abstenir de subordonner l’obligation de diffusion, en ce qui concerne les distributeurs de services qui n’exploitent pas des réseaux de communications électroniques, à l’ensemble des conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22/CE du 7 mars 2002, alors que ces conditions s’imposeront en vertu de la directive en ce qui concerne les exploitants de réseaux

  4. Un Etat membre qui a institué une obligation de diffusion de certains services de radio ou de télévision sur certains réseaux peut-il, sans méconnaître la directive, prévoir l’obligation pour ces services d’accepter d’être diffusés sur ces réseaux, y compris, s’agissant d’une diffusion sur un site internet, lorsque le service en cause diffuse lui-même ses propres programmes sur internet

  5. La condition selon laquelle un nombre significatif d’utilisateurs finals des réseaux soumis à l’obligation de diffusion doivent les utiliser comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision prévue au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22/CE doit-elle, s’agissant d’une diffusion par internet, s’apprécier au regard de l’ensemble des utilisateurs qui visionnent des programmes de télévision en flux continu et en direct sur le réseau internet ou des seuls utilisateurs du site soumis à l’obligation de diffusion ».

Considérant que ces questions « présentent une difficulté sérieuse », le Conseil d’Etat a décidé d’en saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne et de sursoir à statuer sur les demandes de FRANCE TELEVISIONS dans l’attente que la juridiction communautaire se soit prononcée.

Saisie parallèlement d’un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris qui a condamné PLAYMEDIA pour contrefaçon des droits de propriété intellectuelle de FRANCE TELEVISIONS (cf. MEDIA LAW NEWSLETTER n°29), la Cour de Cassation a également décidé, le 5 juillet 2017, de sursoir à statuer jusqu’au prononcé de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur les questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat.

Conseil d’Etat, 4ème et 5ème Chambres réunies, arrêt du 10 mai 2017
Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, arrêt du 5 juillet 2017

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