Téléchargement illicite : la Cour de Cassation met les frais de blocage et de déréférencement à la charge des FAI

La Cour de Cassation a confirmé que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) devaient supporter les frais de blocage et de déréférencement des sites offrant la possibilité aux internautes d’accéder à des contenus contrefaisants en flux continu (streaming) ou en téléchargement.

Plusieurs syndicats professionnels de l’audiovisuel avaient assigné les principaux FAI afin qu’il leur soit fait injonction sur le fondement de l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle, de prendre des mesures de blocage et de déréférencement des sites accessibles aux adresses www.allostreaming.com, www.alloshowtv.com, www.alloshare.com et www.allomovies.com. Le Tribunal de Grande Instance puis la Cour d’Appel ont fait droit à ces demandes.

Les FAI reprochaient à ces décisions d’avoir jugé que les FAI et les fournisseurs de moteurs de recherche conserveraient à leur charge le coût des frais des mesures ainsi ordonnées. La Cour de Cassation a rejeté ces différents pourvois.

L’arrêt rendu le 6 juillet 2017 rappelle en premier lieu le « régime d’irresponsabilité conditionnelle » institué au profit des intermédiaires techniques par la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) qui transpose la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information. Les FAI n’engagent donc leur responsabilité du fait des contenus dont ils assurent la transmission « que dans les cas où soit ils sont à l’origine de la demande de transmission litigieuse, soit ils sélectionnent le destinataire de la transmission, soit ils sélectionnent ou modifient les contenus faisant l’objet de la transmission ». Quant aux hébergeurs, ils « ne peuvent pas voir leur responsabilité engagée du fait des informations dont ils assurent le stockage, s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ». Les FAI et les hébergeurs « ne sont, de surcroît, soumis à aucune obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». La Cour de Cassation retient cependant que « l’article 6, I-8, de la LCEN prévoit que l’autorité judiciaire peut leur prescrire, en référé ou sur requête, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

L’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle est la transposition, en droit interne, de l’article 8, § 3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, et dont il ressort que « les services d’intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits que, dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes, et qu’en conséquence, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une oeuvre protégée ou d’un autre objet protégé ».

Pour la Cour, aucune des dispositions précitées ne s’oppose « à ce que le coût des mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause, ordonnées sur le fondement de l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, soit supporté par les intermédiaires techniques, quand bien même ces mesures sont susceptibles de représenter pour eux un coût important, les directives 2000/31 et 2001/29, précitées, à la lumière desquelles ce texte doit être interprété, prévoyant que, nonobstant leur irresponsabilité de principe, les fournisseurs d’accès et d’hébergement sont tenus de contribuer à la lutte contre les contenus illicites et, plus particulièrement, contre la contrefaçon de droits d’auteur et de droits voisins, dès lors qu’ils sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes ».

L’arrêt répond par ailleurs aux arguments fondés sur la liberté d’entreprendre et le principe de proportionnalité des mesures ordonnées. Il incombe ainsi à la juridiction saisie d’une telle demande d’injonction, « de ne prononcer que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause et d’assurer un juste équilibre entre les droits de propriété intellectuelle dont jouissent les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins et la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs économiques, tels que les fournisseurs d’accès et d’hébergement ». La Cour observe toutefois qu’il résulte de la jurisprudence communautaire que, « si une injonction d’une juridiction nationale mettant le coût des mesures exclusivement à la charge de l’intermédiaire technique concerné ne porte pas atteinte à la substance même du droit à la liberté d’entreprise de ce dernier, dès lors que lui est laissé le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé, il en irait autrement si ces mesures exigeaient de lui de faire des sacrifices insupportables, ce qu’il lui appartient de démontrer ».

A cet égard, il est jugé en l’espèce que « la cour d’appel a retenu, à bon droit, que ce n’est que dans l’hypothèse où une mesure particulière devait s’avérer disproportionnée, eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique des intermédiaires techniques, qu’il conviendrait d’apprécier la nécessité d’en mettre le coût, en tout ou en partie, à la charge du titulaire de droits ; que, procédant de façon concrète à la mise en balance des droits en présence, elle a, d’une part, relevé que l’équilibre économique des syndicats professionnels, déjà menacé par ces atteintes, ne pouvait qu’être aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires qu’ils ne pouvaient maîtriser, d’autre part, souverainement estimé que ni les FAI ni les fournisseurs de moteurs de recherche ne démontraient que l’exécution des mesures ordonnées leur imposerait des sacrifices insupportables, ni que leur coût mettrait en péril leur viabilité économique ; qu’elle a pu en déduire que la prise en charge, par ces intermédiaires, du coût des mesures de blocage et de déréférencement ordonnées était strictement nécessaire à la préservation des droits en cause ».

La Cour de Cassation a par conséquent considéré que la décision de mettre le coût des mesures de blocage et de déréférencement ordonnées à la charge des fournisseurs d’accès et de moteurs de recherche était légalement justifiée.

Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, arrêt du 6 juillet 2017

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