Le Tribunal de Grande Instance de Paris a jugé que le film autobiographique « Nous trois ou rien » réalisé par l’artiste Kheiron, constituait une adaptation non autorisée du livre antérieur coécrit par son père et dont la société d’édition détenait les droits d’exploitation.
La société LES EDITIONS DE L’ATELIER détient les droits d’édition du livre « Téhéran-Paris », coécrit par Monsieur Hibat Tabib et Madame Nathalie Dolle. Cet ouvrage autobiographique de 2007, retrace le parcours de Monsieur Tabib depuis son enfance en Iran jusqu’à son installation en France. En 2013, son fils, l’artiste Kheiron, a entamé la réalisation d’un film écrit par lui et qui raconte à son tour, la vie de sa famille. Le film « Nous trois ou rien » est sorti en salle en 2015. Considérant que cette oeuvre constituait une adaptation non autorisée du livre « Téhéran-Paris », LES EDITIONS DE L’ATELIER ont assigné en contrefaçon, les sociétés coproductrices du film, son auteur-réalisateur et les coauteurs de l’ouvrage de 2007.
Le jugement rendu le 22 mars 2018 a fait droit à ces demandes. Le Tribunal a d’abord rejeté comme prescrite, la nullité du contrat d’édition invoquée par les deux auteurs du livre. La décision rappelle que « l’action en nullité du contrat d’édition tirée de la violation des dispositions impératives de l’article L.131-4 du Code de la propriété Intellectuelle se prescrit par cinq ans à compter de la signature du contrat ». Le contrat dont la nullité était poursuivie avait été signé le 14 mars 2007. « Au jour de la signification des conclusions par lesquelles les auteurs avaient sollicité la nullité du contrat d’édition le 26 janvier 2017, le délai de prescription était donc expiré ». Le jugement précise que « l’exception de nullité ne peut jouer que pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique n’ayant reçu aucune exécution ». Or ; ici le contrat n’était pas opposé aux auteurs du livre mais uniquement aux sociétés coproductrices du film « Nous trois ou rien » ; de sorte que le moyen tiré du caractère perpétuel de l’exception de nullité ne pouvait pas prospérer.
Les coauteurs du livre soutenaient également que dans la mesure où l’un d’entre eux n’avait pas signé un contrat d’adaptation audiovisuelle avec l’éditeur, ce dernier n’était pas titulaire des droits d’adaptation de « Téhéran-Paris ». Le contrat d’adaptation audiovisuelle avait bien été adressée aux deux auteurs mais Madame Dolle n’avait pas signé ses exemplaires. Pour le Tribunal, « il s’ensuit que l’éditeur ne peut se prévaloir de la cession par Madame Dolle de ses droits d’adaptation audiovisuelle sur sa contribution » car « l’exigence posée par l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle d’un document distinct du contrat d’édition fait naturellement obstacle à ce qu’une cession implicite des droits d’adaptation audiovisuelle s’induise de la signature du seul contrat d’édition ». Madame DOLLE était restée propriétaire des droits d’adaptation de sa contribution, de sorte qu’elle était cotitulaire – avec la société d’édition cessionnaire des droits de son coauteur – des droits patrimoniaux d’adaptation audiovisuelle du livre. Et dans la mesure où tous ces ayants droit étaient partie au procès, l’action de l’éditeur restait recevable. Les juges ont ainsi pu se prononcer sur la contrefaçon poursuivie.
L’éditeur soutenait que les différents éléments caractéristiques de son livre étaient intégralement repris dans le film litigieux et que 68 passages de « Téhéran-Paris » avaient même été « repris servilement ». Les défendeurs plaidaient au contraire que les similitudes relevées n’étaient que des « réminiscences empruntées au fond commun de l’histoire familiale que partagent l’auteur du livre et le réalisateur et scénariste du film », et devaient par conséquent rester de libre parcours. Le Tribunal a pour sa part, estimé que « si le thème commun et le caractère biographique des deux oeuvres impliquent nécessairement des similitudes tenant aux faits relatés eux-mêmes (…) la contrefaçon peut néanmoins être constituée lorsque les emprunts portent sur les éléments caractéristiques conférant à l’oeuvre première son originalité et vont, par leur nature, leur ampleur et leur caractère systématique, au-delà de simples réminiscences résultant d’une source d’inspiration commune ». A cet égard, la structure chronologique, les personnages et les lieux s’inféraient « nécessairement du caractère biographique des deux oeuvres » et ne résultaient « donc pas d’emprunts contrefaisants de la première au second ». En définitive, « seule la reprise des caractéristiques originales de l’oeuvre littéraire peut caractériser la contrefaçon » et à ce titre, « l’originalité du livre « Téhéran-Paris », en tant qu’il constitue un ouvrage biographique, réside non pas dans chaque fait qu’il relate, pris individuellement, mais dans la sélection opérée, parmi tous les évènements ayant marqué la vie de Monsieur Hibat Tabib, de certains en particulier et dans le choix de les illustrer formellement par des anecdotes précises ». Or, la comparaison des deux oeuvres révélait que de nombreuses anecdotes servant à illustrer les différents évènements relatés dans le livre, étaient reprises à l’identique dans le film. « Ces similitudes, par leur nature et leur nombre », excluaient qu’elles proviennent de simples réminiscences du scénariste qui avait de surcroît, revendiqué dans la presse une filiation entre le livre et son film.
Il a donc été jugé que le film « Nous trois ou rien » procédait de l’adaptation du livre « Téhéran-Paris » non autorisée par l’éditeur de cet ouvrage et constituait à ce titre une contrefaçon. Se fondant sur les sommes perçues par l’auteur-réalisateur, le tribunal a alloué une indemnité de 15.000 euros à l’éditeur, outre l’obligation d’insérer une mention au générique du film et de modifier le bulletin SACD du film pour y intégrer les auteurs et l’éditeur du livre.
Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème Chambre, 1ère Section, jugement du 22 mars 2018
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