La Cour d’Appel de Paris a infirmé le jugement qui avait prononcé l’annulation d’une partie des contrats d’auteur que la société EUROPACORP avait conclus avec quatre graphistes pour la conception des films qui composent la trilogie d’« Arthur et les minimoys », et condamné la société de production pour contrefaçon (cf. MEDIA LAW NEWSLETTER n°28).
« Arthur et les minimoys » est né de la proposition que deux auteurs, respectivement dessinateur et scénariste, ont faite au réalisateur Luc Besson, de produire un film d’animation ayant pour sujet des lutins. En 2002, EUROPACORP a acquis les droits d’auteur que ces deux initiateurs du projet détenaient sur le séquencier et la réalisation du film. L’équipe de production d’« Arthur et les minimoys » a été complétée par le recrutement de trois graphistes avec lesquels EUROPACORP a signé en 2002 et 2004, des contrats pour « la conception graphique de personnages secondaires, accessoires et de décors dessinés ». Ces trois conventions prévoyaient une rémunération forfaitaire des auteurs. Un quatrième graphiste a par la suite été recruté pour participer à la réalisation des deux autres volets de la trilogie. En 2008, la production de ces deux films supplémentaires a donné lieu à la conclusion d’un nouveau contrat avec ces quatre auteurs pour la « conception graphique des personnages secondaires, accessoires, et de décors dessinés ».
Saisi en premier lieu, le juge des référés a débouté les quatre graphistes de leur demande initiale d’expertise et de provision de « 100.000 euros à valoir sur leur rémunération et/ou dommages et intérêts au titre du marchandisage sur les films litigieux ». Considérant qu’EUROPACORP exploitait sans autorisation les produits dérivés de leurs créations dans le monde entier, les quatre graphistes ont par la suite demandé au tribunal de prononcer la nullité de leurs contrats de cession de droits d’auteur et d’entrer en voie de condamnation au titre de la contrefaçon constatée. Le jugement rendu le 8 janvier 2016 a confirmé les droits d’auteur dont les demandeurs étaient investis, prononcé la prescription des actions en nullité des contrats conclus pour le premier volet de la trilogie et annulé ceux conclus pour les second et troisième films, rendant ainsi la société de production contrefactrice. La Cour d’Appel de Paris a au contraire jugé que ces contrats étaient opposables aux auteurs.
L’arrêt rendu le 19 janvier 2018 confirme que « l’action en nullité ouverte au profit de l’auteur se prescrit par cinq ans conformément aux dispositions de l’article 1304 du Code civil ». Les contrats portant sur le premier film avaient été conclus les 1er février 2002 et 1er décembre 2004. L’action des graphistes était donc prescrite lorsqu’ils ont saisi le juge des référés le 20 janvier 2012 et a fortiori lorsqu’ils ont agi au fond par assignation du 17 juin 2013.
La Cour a en revanche infirmé la motivation ayant conduit les premiers juges à annuler les contrats conclus pour les second et troisième volets de la trilogie. Les auteurs soutenaient que la rémunération forfaitaire prévue par ces contrats contrevenait au principe de la rémunération proportionnelle prévue par le Code de la propriété intellectuelle. L’arrêt rappelle que l’article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle et doit comporter à son profit la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation. Il est toutefois précisé que la rémunération de l’auteur put être évaluée forfaitairement, notamment si « la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l’œuvre, soit que l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité ». Les contrats litigieux se référaient expressément à cette exception pour justifier la rémunération forfaitaire des auteurs et la Cour s’est attachée à identifier les éléments de fait justifiant son application. Il est ainsi relevé que l’intitulé des contrats vise « la conception graphique des personnages secondaires, accessoires et de décors dessinés ». L’objet de ces contrats précisait que chaque auteur devrait travailler « à partir des instructions et des éléments fournis par Luc Besson » et « en concertation permanente avec l’auteur réalisateur et le producteur ». Il était également précisé que « l’auteur s’engage à accepter de procéder ou de voir procéder par les coauteurs aux modifications et remaniements de sa création ». Il ressortait également de la lettre des contrats et des pièces versées qu’il n’était « pas possible d’identifier la contribution de tel ou tel auteur et les personnages ou décors créés sont le plus souvent la création combinés des intimés agissant ensemble, voire » du premier auteur à l’origine de la série.
La Cour a par ailleurs rappelé que les contrats de 2008 « constituent bien les suites de ceux de 2002 » qui faute d’avoir été annulés, devaient être considérés comme valides et recevoir application. Or, « les droits patrimoniaux et les droits d’utilisation et d’adaptation les plus larges portant sur l’ensemble des éléments créés par les auteurs lors du premier opus ont été régulièrement acquis par EUROPACORP aux termes des contrats du 1er février 2002 et du 1er décembre 2004 et la rémunération perçue à ce titre par les intimés ne peut être remise en question ». L’arrêt retient qu’il n’était « pas justifié, s’agissant des seuls personnages et accessoires qui ne figuraient pas dans le premier opus de la trilogie, de l’apport de chacun des intimés et de leur caractère non accessoire ». Pour la Cour, les graphistes avaient été assistés par le même avocat pour la négociation et la conclusion des contrats de 2008, et « étaient parfaitement informés des enjeux et du contenu du travail qu’ils auraient à fournir et des méthodes de travail qui avaient été celles du premier film ».
En définitive, « les circonstances et les conditions dans lesquelles les auteurs se sont engagés à collaborer comme coauteurs aux deux nouveaux opus établissent de façon certaine que leur engagement a été libre et éclairé et correspond à la réalité des faits. Ils ont en connaissance de cause établi la nature et l’étendue de leurs droits d’auteur ». L’arrêt relève enfin que « ce n’est qu’en 2013 lors de la procédure au fond que les intimés, assistés du même conseil que celui qui a négocié les contrats incriminés, invoquent pour la première fois la nullité des dits contrats alors même qu’ils avaient demandé dans le cadre de la procédure de référés l’application de ces contrats dont ils ne contestaient pas la validité ». Partant, la rémunération forfaitaire appliquée a été jugée licite et les contrats la prévoyant validés, de sorte que la contrefaçon retenue en première instance a été écartée.
Les graphistes demandaient à titre subsidiaire l’application de l’article L.131-5 du Code de la propriété intellectuelle qui, lorsque la rémunération forfaitaire est possible, prévoit qu’« en cas de cession du droit d’exploitation, lorsque l’auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l’œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat ». La Cour rappelle à cet égard que « la lésion se distingue de l’insuffisance de prévision des produits de l’œuvre et doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat ». Cette appréciation « ne peut se faire globalement mais contrat par contrat ». La charge de la preuve de la lésion ainsi définie incombe enfin à ceux qui l’invoquent. Or, en l’espèce, les graphistes n’avaient pas fait la démonstration de la lésion invoquée et leurs demandes ont donc été rejetées.
Cour d’Appel de Paris, Pôle 5, Chambre 2, arrêt du 19 janvier 2018
Télécharger la newsletter