Le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné pour atteinte à la vie privée, la présentation malveillante sur Internet de condamnations pénales prononcées à l’encontre d’une personne.
Le représentant légal d’une société spécialisée dans la « supplémentation nutritionnelle » avait fait constater par huissier qu’une recherche à partir de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google, dirigeait l’internaute vers un site accessible à l’adresse www.psiram.com faisant état de ses démêlés judiciaires. Le site rappelait les condamnations pénales prononcées à son encontre pour exercice illégal de la pharmacie et fraude fiscale, et reproduisait deux arrêts de la Chambre Criminelle rendus dans ces affaires.
Afin de se protéger d’éventuels recours de la part des personnes mises en cause, les responsables et les contributeurs de ce site consacré à la dénonciation des « méthodes de charlatanisme, de tromperie et d’arnaque », agissaient tous de manière anonyme. Le plaignant était toutefois parvenu, en recourant à un professionnel de l’investigation numérique, à identifier l’auteur de la page Psiram litigieuse et à l’assigner devant la Chambre de la Presse pour atteinte à la vie privée. Le jugement rendu le 14 février 2018 a fait droit à ses demandes.
Outre l’atteinte à sa vie privée, le demandeur invoquait d’une part, une délibération de la CNIL du 29 novembre 2011, qui estimait souhaitable « que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites internet s’abstiennent, dans le souci du respect de la vie privée des personnes physiques concernées et de l’indispensable « droit à l’oubli », d’y faire figurer le nom et l’adresse des parties au procès ou des témoins » et d’autre part, un arrêté du 9 octobre 2002 ayant imposé l’anonymisation des décisions de justice. Le plaignant reprochait ainsi à la défenderesse d’avoir expressément cité son nom alors qu’il avait été anonymisé dans les décisions de justice qu’elle avait découvertes sur le site Légifrance et mises en exergue pour illustrer ses accusations de « charlatanisme ».
S’agissant de l’atteinte à la vie privée, le jugement rappelle que « conformément à l’article 9 du Code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. Cependant, ce droit doit se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il peut céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression ».
Appliquant ces règles au cas d’espèce, le Tribunal a considéré que « si, en principe, les condamnations prononcées par les juridictions pénales qui sont rendues publiquement échappent de ce fait à la sphère protégée de la vie privée, c’est à la condition que ce rappel ne soit pas fait avec malveillance et réponde aux nécessités de la liberté d’expression ».
L’obligation d’anonymiser les décisions de justice s’imposant aux bases de données ne pouvait pas pour autant être opposée à la défenderesse, et le jugement retient que « les éléments d’état civil tels que les noms et prénoms de M. X., sa nationalité, son âge ainsi que le nom de son père décédé en 2013, ne font certes pas partie de la sphère privée, non plus que le fait d’avoir « vendu depuis 1994 des produits, introduits frauduleusement en France », ou que les décisions de justice rendues publiquement ».
Pour autant, « l’évocation et la reproduction de ces décisions d’une certaine ancienneté, portant sur des faits encore plus anciens en prenant le soin de lever l’anonymat s’attachant à leur diffusion sur internet, à raison du lien avec le respect de la vie privée des personnes concernées justement pris en compte par l’anonymisation des décisions de justice, en les reproduisant en tout ou partie sur la page spécialement dédiée à Monsieur X., n’alimentant le débat sur la santé et les compléments nutritionnels d’aucun élément nouveau, tout en faisant ressurgir au premier plan l’actualité judiciaire ayant abouti à la condamnation de l’intéressé », pouvait « apparaître mue par une certaine malveillance ». Pour le Tribunal, cette malveillance dirigée contre la personne du demandeur était « soulignée par la reproduction de l’avis nécrologique concernant le décès de son père Monsieur X., tel qu’adressé par les proches de ce dernier, trois ans auparavant, laquelle caractérise une intrusion dans ce qui relève de l’intimité de M. X., auquel elle impose la résurgence brutale car incongrue et décalée, d’un instant que l’on peut supposer douloureux de sa vie familiale ».
Considérant que l’atteinte à la vie privée et « la malveillance qui l’accompagne » étaient caractérisés, le Tribunal a condamné l’auteur de l’article au paiement de la somme de 2000 euros de dommages-intérêts et a ordonné la suppression sous astreinte de la page litigieuse.
Tribunal de Grande Instance de Paris, 17ème Chambre Presse civile, jugement du 14 février 2018
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