La Cour d’Appel de Paris a jugé que la reprise de l’expression « esprit public » dans les nouveaux titres d’émissions choisis par l’animateur Philippe Meyer ne constituait pas une imitation de la marque « L’Esprit Public » qui était le titre du programme qu’il animait auparavant pour Radio France.
« L’Esprit Public » est une émission que Philippe Meyer animait depuis 1998 sur les antennes de la radio France Culture éditée par Radio France. En 2017, son employeur lui a notifié sa décision de ne pas reconduire la diffusion de ce programme pour la saison 2017/2018. Suite au départ du journaliste, Radio France a finalement décidé de proposer sur France Culture, une nouvelle formule de « L’Esprit Public » présentée par Emilie Aubry.
Radio France a par la suite découvert que son ancien salarié s’apprêtait à produire un podcast d’une émission intitulée « Le nouvel esprit public de Philippe Meyer », enregistrée en public au même horaire que la nouvelle formule de « L’Esprit Public ». En dépit de l’opposition de Radio France, ce premier podcast a bien été produit et son audience a devancé celle du podcast de l’émission de France Culture. Se fondant sur les droits qu’elle détient sur la marque « L’Esprit Public », Radio France a diligenté une procédure visant à obtenir l’interdiction à titre provisoire de la poursuite des agissements de Philippe Meyer. Le juge des référés puis la Cour d’Appel de Paris ont successivement débouté Radio France de son action visant des faits de contrefaçon de marque.
La plaignante agissait sur le fondement de l’article L.716-6 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon (…). Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente ».
L’animateur avait annoncé plusieurs titres intégrant tous l’expression litigieuse, de sorte que Radio France demandait aux juges qu’il soit interdit à Philippe Meyer d’exploiter toute dénomination incluant les termes « Esprit Public ». Parmi les moyens opposés par le journaliste, ce dernier soutenait que la marque « Esprit Public » encourait la déchéance car elle était devenue trompeuse par l’usage qu’en faisait Radio France depuis qu’elle avait évincé l’animateur historique de cette émission. Philippe Meyer considérait que le programme diffusé depuis son départ était « substantiellement différent, ne présentant plus les qualités et caractéristiques que les auditeurs étaient en droit d’attendre ». L’arrêt rendu le 13 avril 2018 a rejeté ce moyen au motif que « l’émission « L’Esprit Public » ne faisait pas mention du nom de Monsieur Philippe Meyer » ; qu’elle avait « conservé le même titre, reprenait les mêmes caractéristiques que précédemment » et « qu’en dépit des modifications dans les conditions d’exploitation de la marque du fait de Radio France, celle-ci se poursuivait sans induire en erreur les auditeurs qui sont informés du nom de la nouvelle animatrice de l’émission ».
Philippe Meyer a en revanche obtenu gain de cause dans sa contestation de la contrefaçon. La Cour a en effet jugé que la contrefaçon par imitation de la marque « L’Esprit Public » n’était pas vraisemblable au sens de l’article L.716-6 précité : « la marque verbale déposée « Esprit Public » se compose de deux mots alors que le signe utilisé par Monsieur Meyer, que ce soit « Le Nouvel Esprit Public », « L’Esprit Public de Philippe Meyer » ou encore « L’Esprit Public de Philippe Meyer en Peau de Caste » est beaucoup plus long et plus complexe ; phonétiquement il en résulte une absence de risque de confusion même pour un auditeur peu attentif ; les éléments adjoints à « L’Esprit Public » font sens dans la mesure où ils tendent à renouveler l’esprit de l’émission anciennement animée par Monsieur Philippe Meyer, qui utilise désormais la notoriété de son nom et son prénom pour distinguer son émission de celle diffusée par France Culture ; ainsi les signes adjoints, qui suggèrent immanquablement une différence de contenu intellectuel, ne sont pas insignifiants et permettent au public normalement informé, raisonnablement attentif et avisé de ne pas commettre de confusion entre ces émissions ».
La motivation retenue par la Cour l’a conduite à considérer que parmi les noms de domaines réservés par Philippe Meyer, www.lenouvelespritpublic.fr n’était pas contrefaisant alors que www.lespritpublic.com était vraisemblablement contrefaisant par reproduction. Le journaliste a par conséquent reçu l’interdiction de ne pas poursuivre l’exploitation de ce nom de domaine pour « désigner une émission diffusée par tout moyen de télécommunication ». Cette interdiction a été assortie d’une condamnation au paiement de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Cour d’Appel de Paris, Pôle 1, Chambre 3, arrêt du 13 avril 2018
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