La Cour d’Appel de Paris a confirmé la décision de l’Autorité de la Concurrence qui a sanctionné le groupe TDF pour avoir mis en place des pratiques tendant à évincer ses concurrents du site de la Tour Eiffel.
La Tour Eiffel est utilisée depuis de nombreuses années pour la diffusion de chaînes de télévision et de radio par voie hertzienne. Les installations consacrées à ces diffusions occupent 1700 m² au pied du pilier sud de la Tour et divers emplacements au-dessus de son troisième étage. La hauteur de ce monument et son emplacement au coeur du bassin parisien lui permettent de couvrir 11 millions d’habitants, soit 18% de la population métropolitaine, ce qui en fait un site stratégique pour la diffusion de programmes audiovisuels. Le monument appartenant à la Ville de Paris, fait l’objet d’une convention d’occupation du domaine public concédée au groupe TDF.
Le litige est né d’une plainte de la société TOWERCAST, filiale du groupe NRJ spécialisée dans la diffusion hertzienne, qui reprochait à TDF d’avoir mis en oeuvre plusieurs pratiques l’empêchant d’accéder au marché de la diffusion depuis la Tour Eiffel. Cet opérateur concurrent faisait d’abord grief à TFD d’avoir abusé de sa position dominante en refusant de lui communiquer les données nécessaires pour pouvoir répondre à l’appel d’offres lancé par la Ville de Paris pour le renouvellement de la convention d’occupation domaniale du site de la Tour Eiffel. TOWERCAST lui reprochait également d’avoir eu recours aux mêmes retentions d’informations pour l’empêcher de proposer des offres de diffusion aux éditeurs de programmes radiophoniques dans le cadre de l’appel à candidatures lancé par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel pour le renouvellement de la plupart des autorisations d’émettre des radios en mode FM sur la région Parisienne. De fait, l’ensemble de ces radios, y compris celles appartenant au groupe NRJ, avaient finalement contracté avec TDF. TOWERCAST considérait enfin que TDF avait établi un ciseau tarifaire empêchant les diffuseurs alternatifs de proposer une offre compétitive aux éditeurs de radio.
Le 11 juillet 2007, le Conseil de la Concurrence a ordonné, à titre conservatoire, à TDF d’une part, de transmettre une offre de gros d’hébergement de diffusion radio FM depuis le site de la Tour Eiffel permettant aux autres diffuseurs de concurrencer effectivement les offres de détail faites par TDF aux radios et d’autre part, de limiter à un an la durée des contrats sur le point d’être signés avec les radios FM.
Le 11 juin 2015, l’Autorité de la Concurrence s’est prononcée au fond sur les trois griefs imputés à TDF sur le fondement de l’abus de position dominante détenue par cette société sur les marchés de « l’appel d’offres pour le renouvellement de la convention d’occupation domaniale du site de la Tour Eiffel » et de « gros amont des services de diffusion radiophonique en mode FM depuis ce site ». La décision rendue a confirmé l’existence de ces pratiques anticoncurrentielles et condamné les trois sociétés du groupe TDF au paiement d’une sanction pécuniaire d’un total de 5.660.000 euros.
L’arrêt rendu le 12 octobre 2017 a confirmé cette décision. S’agissant du premier grief, la Cour relève que TDF était la seule à détenir les informations techniques et financières relatives au site de la Tour Eiffel. Il « pesait donc sur la société TDF, en position dominante sur le marché pertinent, la responsabilité particulière de communiquer avec la plus grande diligence les informations indispensables à la société TOWERCAST pour lui permettre de construire une offre concurrentielle ». Or, TDF avait fourni ces éléments avec retard et de manière incomplète. Il en résulte « qu’en n’ayant pas communiqué sans délai l’ensemble des informations indispensables à la société TOWERCAST pour construire l’offre la plus compétitive, TDF a amélioré sa position concurrentielle sur le marché de l’appel d’offres pour le renouvellement de la concession d’occupation domaniale » et ce faisant, « elle a encore affaibli la structure de concurrence sur ce marché, sur lequel elle détenait une position dominante, et ce par des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites ».
Il a également été jugé que TDF avait empêché TOWERCAST de construire son offre de diffusion destinée aux radios. La Cour déduit de ses constatations que « les informations transmises par TDF à TOWERCAST l’ont été avec plus d’un mois de retard et que, de surcroît, s’agissant des coûts éventuels d’implantation que TOWERCAST aurait eu à supporter, les informations transmises, outre leur caractère tardif, étaient imprécises, voire inexactes. N’ayant jamais reçu l’information complète qu’elle était en droit d’attendre sur les coûts de la prestation d’hébergement, travaux compris, proposes par TDF en réponse à sa demande d’offre d’hébergement sur mesure, TOWERCAST s’est trouvée dans l’impossibilité de construire une offre de diffusion, a fortiori une offre concurrentielle ». Et à supposer qu’elle ait reçu les informations demandées, « la tardiveté de leur communication ne lui aurait pas permis de concourir à armes égales avec TDF, compte tenu du calendrier très contraint qui s’imposait aux éditeurs ». Dans ce contexte, « les chances de TOWERCAST de convaincre un éditeur de contracter avec elle plutôt qu’avec TDF étaient à tout le moins très faibles ».
Le troisième grief reprochait à TDF d’avoir imposé des prix inéquitables à ses concurrents sous la forme d’un ciseau tarifaire entre le prix de détail sur le marché de gros aval des services de diffusion de programmes radiophoniques en mode FM depuis le site de la Tour Eiffel et le prix de l’accès au marché de gros amont de ces services. L’Autorité de la Concurrence avait appliqué un test de ciseau tarifaire pour vérifier si les prix pratiqués par TDF produisaient un effet d’éviction. Elle en avait conclu qu’un opérateur « ne pouvait entrer sur le marché de gros aval des services de diffusion depuis le site de la Tour Eiffel qu’en subissant des pertes ». La Cour a confirmé la pertinence des paramètres retenus par l’Autorité pour réaliser son test de ciseau.
Les sanctions infligées à TDF ont en définitive été maintenues à hauteur de 5 millions d’euros pour le premier grief et 660.000 euros pour les deux autres griefs. Cette décision fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
Cour d’Appel de Paris, Pôle 5, Chambre 7, arrêt du 12 octobre 2017
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