Le Conseil d’Etat est partiellement revenu sur les sanctions que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) avait prononcées à l’encontre de trois séquences du programme « Touche pas à mon poste » diffusé par la chaîne C8 (cf. MEDIA LAW NEWSLETTER n°40).
La première de ces décisions portait sur l’émission du 3 novembre 2016, au cours de laquelle avait été diffusée une séquence de caméra cachée mettant en scène l’animateur et l’un de ses chroniqueurs. Ces derniers y étaient montrés se rendant chez un acteur se faisant passer pour un producteur américain avec lequel l’animateur venait négocier le passage dans l’émission d’un acteur vedette. La discussion mise en scène dégénérait en altercation au cours de laquelle le producteur tombait inanimé au sol. L’animateur et son garde du corps s’efforçaient ensuite de dissuader le chroniqueur d’appeler la police et de le contraindre à endosser la responsabilité de l’incident auquel il était étranger.
Le CSA avait reproché à C8 d’avoir montré « aux téléspectateurs l’image d’un chroniqueur dans une situation de détresse et de vulnérabilité manifestes » et d’avoir manqué de « retenue dans la diffusion d’images susceptibles d’humilier les personnes ». La sanction prononcée suspendait pendant une semaine, la diffusion de séquences publicitaires associées à l’émission litigieuse.
Le Conseil d’Etat a annulé cette décision du CSA. L’arrêt rendu le 18 juin 2018 considère que « le chroniqueur, qui a été présenté comme n’ayant été avisé que le lendemain qu’il s’agissait d’une mise en scène, est apparu, tout au moins initialement, déstabilisé par le comportement de l’animateur, mais faisant preuve de sang-froid, appelant la police, alors qu’il lui était demandé avec insistance de n’en rien faire, et se préoccupant à plusieurs reprises de l’état de la prétendue victime avec qui il a partagé un repas après qu’elle a repris ses esprits ». Le Conseil en déduit « qu’eu égard à son comportement tout au long de la séquence, il n’a pas été montré sous un jour dégradant, humiliant ou attentatoire à sa dignité ». Par voie de conséquence, « la diffusion de cette séquence, à laquelle le chroniqueur a consenti et qu’il a lui-même accepté de commenter, ne révèle, contrairement à ce qu’a estimé le CSA dans la décision attaquée et eu égard au caractère humoristique de l’émission et à la protection qui s’attache à la liberté d’expression », aucune méconnaissance des dispositions de la convention régissant les conditions de diffusion de la chaîne C8.
La seconde décision attaquée portait sur une séquence de décembre 2016, au cours de laquelle, l’animateur, prétextant un jeu, avait pris la main de l’une des chroniqueuses en lui demandant de deviner, les yeux fermés, sur quelle partie de son corps il la posait. Après lui avoir fait toucher sa poitrine et son bras, l’animateur avait posé la main de la chroniqueuse sur son pantalon, au niveau de son sexe.
Le Conseil d’Etat a confirmé la décision par laquelle le CSA avait prolongé de deux semaines la suspension des séquences publicitaires ordonnée dans sa précédente décision. L’arrêt relève que « la mise en scène d’un tel comportement, procédant par surprise, sans consentement préalable de l’intéressée et portant, de surcroît, sur la personne d’une chroniqueuse placée en situation de subordination vis-à-vis de l’animateur et producteur, ne peut que banaliser des comportements inacceptables et d’ailleurs susceptibles de faire l’objet, dans certains cas, d’une incrimination pénale ». En plaçant « la personne concernée dans une situation dégradante et, présentée comme habituelle », l’émission tendait « à donner de la femme une image stéréotypée la réduisant à un statut d’objet sexuel ». Or, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose que le CSA « assure le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle ». Le Conseil a par ailleurs considéré que ces faits révélaient « un défaut de maîtrise de l’antenne » et cela, « alors même qu’ils s’étaient produits dans le cadre d’une émission humoristique ».
La troisième procédure ouverte à l’encontre de C8 portait sur une séquence de l’émission du 18 mai 2017 relative à une petite annonce publiée sur un site de rencontre et dans laquelle l’animateur de « Touche pas à mon poste » se présentait comme une « personne bisexuelle désireuse de faire des rencontres et le cas échéant, d’avoir des relations sexuelles ».
Le Conseil d’Etat a approuvé la sanction prononcée par le CSA, « auquel le législateur a confié la mission de veiller à ce que les programmes audiovisuels donnent une image de la société française exempte de préjugés ». Son arrêt considère « qu’en l’absence de tout procédé technique destiné à rendre méconnaissables les voix des personnes mises à l’antenne, sans qu’elles y aient consenti ni même qu’elles aient été avisées de la diffusion de conversations qu’elles pouvaient au contraire légitimement croire particulières, ces personnes ont été exposées au risque d’être reconnues, principalement par des membres de leur famille ou de leur entourage, eu égard notamment à certaines informations personnelles qu’elles avaient été engagées à livrer, concernant par exemple leur lieu de résidence, leur âge ou leur profession ». Le Conseil souligne que « l’animateur a incité ces personnes à tenir des propos d’une crudité appuyée dévoilant leur intimité et exposant leur vie privée alors même qu’elles ne pouvaient imaginer que leurs propos seraient diffusés publiquement » et qu’il a par ailleurs « constamment adopté, à cette occasion, une attitude visant à donner une image caricaturale des homosexuels qui ne peut qu’encourager les préjugés et la discrimination à leur encontre ».
L’arrêt retient en définitive que C8 a violé les articles 2-3-3 et 2-3-4 de sa convention, qui l’obligent à veiller « à promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité qui sont celles de la République et à lutter contre les discriminations » et à respecter « les droits de la personne relatifs à sa vie privée, son image, son honneur et sa réputation ». L’analyse du CSA a ainsi été confirmée sans que puisse y faire obstacle le caractère humoristique de l’émission ni la liberté d’expression invoqués par la chaîne.
Sur le terrain pécunier, la sanction de trois millions d’euros infligée a été jugée conforme aux termes de l’article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 qui énonce que « le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d’affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation ». Compte tenu de la gravité des faits, le montant correspondant « à peu près aux deux tiers du plafond » légal était donc conforme aux dispositions applicables.
Conseil d’Etat, trois arrêts du 18 juin 2018
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